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De l’alcool plaisir à la dépendance

L'alcool plaisir initialement de la révélation à la désillusion puis l'alcool devient souffrance : la dépendance.

Par le Dr Didier Mennecier

L’alcool plaisir : de la révélation à la désillusion.

Les effets psychotropes de l’alcool, notamment l’anxiolyse et la désinhibition peuvent constituer une véritable “ révélation  » pour certains sujets.

Ainsi, le timide se trouve soudainement, magiquement libéré de sa timidité, l’inquiet a chassé ses inquiétudes, celui qui manque d’audace se persuade qu’il a une personnalité affirmée.

L’alcool devient l’ami inséparable, celui qui comprend et compense petits et grands soucis de la vie. Pendant plusieurs années, l’illusion de la maîtrise fonctionne bien.

Après tout le “ je bois comme tout le monde « , renforce le mode de consommation même si l’entourage évolue parallèlement au mode de consommation.

La recherche des effets implique une modification de la consommation par le biais d’un phénomène de tolérance (nécessité d’augmenter les doses pour obtenir le même effet). Puis intervient une phase au cours de laquelle la personne boit plus qu’elle ne le souhaiterait, ne peut plus contrôler sa consommation.

Enfin, la présence de signes physiques de manque au moment du sevrage, tels que sueurs, tremblements, irritabilité signe l’installation de la dépendance physique.

Dès lors, le piège s’est refermé. L’alcool qui fût un plaisir est devenu souffrance et celui qui fût “comme tout le monde » est devenu aux yeux de la société un “alcoolique ».

Figure n°1 : De l’alcool plaisir à l’alcool souffrance

L’alcool souffrance : la dépendance, comment devient-on alcoolodépendant ?

“La dépendance c’est la perte de la liberté de s’abstenir de boire” disait Fouquet.

La dépendance s’installe insidieusement et commence par des périodes de consommations adaptées, souvent festives et en groupe pour les hommes. Elle peut cependant être déjà solitaire chez les femmes. Pendant cette phase, la personne arrive même à réduire temporairement sa consommation lors d’événements fortuits (gueule de bois, accident de voiture alors qu’elle est alcoolisée), mais sans s’auto-critiquer : « c’est la faute à pas de chance».

Puis malgré l’apparition de dommages causés par cette consommation excessive (problèmes au travail, conflits familiaux, conduite automobile sanctionnée avec plus de 0,5 g/l) la personne n’arrive pas à réduire sa consommation durablement. Ses tentatives pour maîtriser sa consommation échouent malgré parfois une consommation intermittente qui donne l’illusion du contrôle : « Puisque je peux arrêter de boire, je ne suis pas un alcoolique ». C’est le « déni ».

La compulsion à consommer l’emporte malgré les dommages, ceci pendant une longue période. La personne poursuit durablement sa consommation. Les efforts qu’elle fait pour essayer de contrôler ou d’arrêter de boire sont inefficaces.

Compulsion à consommer et contrôle infructueux de sa consommation sont les deux piliers de la dépendance.

La présence de signes de sevrage physique à l’alcool que sont l’irritabilité, l’anxiété, les sueurs et les tremblements, n’est pas nécessaire pour dire qu’une personne est dépendante de l’alcool. S’ils sont présents, bien sûr, ils confirment la dépendance physique à l’alcool, c’est-à-dire le besoin d’alcool par adaptation de l’organisme à une alcoolémie constamment élevée.

Plusieurs théories ont été avancées pour expliquer la dépendance à l’alcool, parmi elles :

La théorie membranaire

Au contact de l’alcool pris occasionnellement, les membranes, c’est-à-dire les enveloppes des cellules du corps humain, modifient leur perméabilité et se fluidifient. Si les prises d’alcool sont plus régulières, ces enveloppes deviennent rigides. C’est leur nouvel état d’équilibre. Le sevrage entraîne une rupture de cet état en déstabilisant la membrane qui ne peut retrouver sa stabilité qu’avec l’alcool.

Après le sevrage prolongé, elles retrouvent au fil du temps leur état « naturel » de fluidité et leur fonctionnement normal.

La théorie des déterminants biologiques de la dépendance à l’alcool

L’alcool agit sur plusieurs systèmes de neurotransmission : le système utilisant comme neurotransmetteurs le acide gamma-aminobutyrique (GABA), le glutamate, les endorphines et la dopamine.

L’action sur le système au GABA semble prépondérante. Le GABA est un régulateur du fonctionnement des neurones. L’alcool facilite son action et est donc, à forte dose, dépresseur de l’activité neuronale. En prise chronique, le cerveau s’adapte et diminue la production de GABA. Il devient donc potentiellement plus excitable (Figure n°2).

Figure n°2 : Théorie des déterminants biologique de la dépendance à l’alcool

Le glutamate est un neurotransmetteur excitateur des neurones. L’alcool inhibe son action. La consommation chronique d’alcool augmente les réserves en glutamate et crée donc une excitabilité potentielle de l’alcool.

A l’arrêt brutal de l’alcool cette hyperexcitabilité se démasque, par manque de GABA inhibiteur et par excès de glutamate excitateur. On observe alors les signes d’hyperexcitabilité du sevrage : tension anxieuse, tremblement, voire dans le delirium tremens, des hallucinations visuelles, des crises d’épilepsie.

La mort neuronale : les perturbations morphologiques et fonctionnelles des neurones, consécutives à une consommation excessive d’alcool, peuvent conduire à leur mort.

La théorie des opioïdes endogènes

La prise régulière d’alcool en grande quantité va provoquer l’accumulation dans le cerveau d’un dérivé de l’alcool appelé acétaldéhyde. Celui-ci va se combiner avec des substances chimiques du cerveau pour aboutir à la synthèse de substances, appelées endorphines, assimilables à la morphine. Ce processus explique en partie l’état de bien-être et d’anesthésie lié aux prises massives d’alcool.

Chez le malade alcoolique, la prise régulière et ancienne d’alcool entraîne la mise en place d’une véritable usine chimique de production d’équivalent de morphine à partir de l’alcool. Cette usine reste en mémoire dans le cerveau, même après une longue période d’abstinence, et pourrait expliquer en partie les phénomènes de rechute lors de tentatives de reprise de consommation d’alcool même après de longues périodes d’abstinence.


Références

  • FENELON G. Neurologie et Alcool. Neurologies, 2004:107-128
  • DAOUST M. Les effets neurologiques de la consommation d’alcoolique. FMC hebdo n°28, 1999:48-49
  • BERDOZ D., CHAPUIS C., DAEPPEN J.B. Prise en charge du syndrome de sevrage d’alcool. Schweiz Med Forum 2005:235-240

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