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L’Alcool dans l’histoire

Partie intégrante de notre culture, de notre patrimoine et de nos traditions, la consommation d'alcool accompagne tous les événements festifs de la vie familiale et sociale.

Par le Dr Didier Mennecier

Partie intégrante de notre culture, de notre patrimoine et de nos traditions, la consommation d’alcool accompagne tous les événements festifs de la vie familiale et sociale. Pourtant, elle affecte la santé d’au moins cinq millions de personnes en France, parmi lesquelles deux millions sont dépendantes. Pour mieux comprendre ce paradoxe, il faut replacer l’alcool dans l’Histoire

Histoire de l’alcool : Alcool sacré

Les consommations d’alcool remontent à l’Antiquité. Rituelles, sacrées, conviviales ou festives.

La découverte de l’alcool date probablement du néolithique, lors de la sédentarisation de l’homme, au hasard d’une fermentation naturelle de produits alimentaires. La littérature a toujours rapporté la présence de l’alcool dans la vie sociale des hommes. C’est en l’an 4 000 avant Jésus-Christ que l’on retrouve les premières références à un produit alcoolique : la bière en Mésopotamie. L’alcool a un usage sacré et conduit à l’extase mystique. « La coupe » contenant de l’alcool est censée renfermer la divinité. Les religions judéo-chrétiennes la glorifient. La première vigne aurait été plantée par Noé. « Noé planta la vigne et s’enivra » (Genèse). Dans l’Antiquité, des écrits racontent le culte de Dionysos en Grèce, et de Bacchus à Rome.

Figure n°1 : Ivresse de Noé – Peinture de l’artiste vénitien Giovanni Bellini – 1515

Le nouveau Testament apporte une nouvelle image du vin. Entre le premier miracle de Jésus-Christ aux noces de Cana transformant l’eau en vin et son dernier repas où le vin devient le sang du Christ, la religion chrétienne permet le passage du vin païen au vin chrétien.

L’expansion de l’empire romain et la propagation de la chrétienté étendront le culte de la vigne. C’est au Moyen Âge que les Croisés provenant de la Terre Sainte ramènent l’alambic. Ainsi, des boissons plus fortes (distillées) font leur apparition sur le marché ainsi que les premières grandes réglementations de la consommation et du négoce du vin. L’ivresse devient un péché. Le marché du vin s’accompagne de charges, d’impôts et de privilèges.

Les Arabes inventent le mot AL KHOL, qui apparaît dans la langue romane de la péninsule ibérique en 1278, et celui-ci sera introduit au XVI ème siècle dans son orthographe actuelle dans notre langue : ALCOOL (traduction de « ce qui est très subtil »).

La Renaissance marque l’essor du vin-plaisir. Elle signe la qualité et la naissance des grands crus (XVIIème et XVIII ème siècles).

Dans nos sociétés rurales traditionnelles françaises, la présence du vin à table fait partie de la « restauration » du corps (« le pain fait la chair et le vin fait le sang ») ; il constitue une boisson à la fois nutritive mais aussi « bonne » pour la santé (sa « chaleur » combat les humeurs froides et mortifères). Ce vin partagé est un signe de joie sociale affichée et démontre en plus la virilité des hommes présents. Le partage du vin aide à la signature du marché, à l’accord de fiançailles, scelle l’entente entre les nouveaux alliés, réconcilie les disputes qu’il anime, et permet la rencontre entre deux parfaits inconnus. Le vin, aliment et médicament jusqu’au XX ème siècle, accompagne l’échange intime et noue le lien social de façon d’autant plus « naturelle » sociologiquement qu’il est inscrit dans une longue histoire.

Histoire de l’alcool : l’ambivalence

Dès le XVIII ème siècle, on rencontre toutefois des textes qui décrivent le « boire » consolateur, la réponse au malheur social, ou encore au XIX ème siècle, le « boire » source de trouble social . L’ivresse est ainsi souvent mise aussi en images (dans les films, les feuilletons télévisés) comme signe d’un échec masculin, social, amoureux, ou comme source aussi de violence.

Figure n°2 : Affiche dénonçant les méfaits de l’alcool – L’ouvrier français consacre plus de 10% de son salaire à l’alcool par jour

L’histoire du XIXème siècle est à ce titre révélatrice de cette ambivalence. D’un côté, la bourgeoisie du XIXème siècle et ses excès (le cigare, les savoirs gastronomiques et œnologiques sont les signes de la réussite économique financière, politique, …), d’un autre, alors qu’elle invente la gastronomie et l’œnologie, cette même bourgeoisie adhère massivement au mouvement anti-alcoolique : l’alcoolisme est un fléau grossier, prolétaire et produit par de mauvais alcools industriels qui met en péril la nation. Mais le bon vin et les eaux de vie, produits du terroir, sont un signe de culture et de goût distingué. Les syndicalistes et dirigeants du mouvement ouvrier rallient les associations anti-alcooliques.

La contradiction est totale. Les politiques répressives et les campagnes anti-alcooliques se multiplient (répression de l’ivresse publique par la loi du 13 février 1873, interdiction de l’absinthe juste avant le déclenchement de la guerre de 1914, obligation d’enseignement en 1895 sur « les dangers de l’alcool au point de vue de l’hygiène, de la morale et de l’économie sociale et politique ») alors que parallèlement la consommation de vin est valorisée. Pendant la première guerre mondiale par exemple, les civils sont tenus de ne pas consommer de vin afin de le réserver aux « poilus » pour la victoire. Dans notre culture cinématographique contemporaine, l’ivresse collective est un signal de fête, avec ses chants, l’expression du triomphe sportif, économique, militaire, etc.

Figure n°3 : Interdiction de l’Absinthe le 13 février 1873

C’est à cette période qu’apparaît le terme d’ « alcoolisme » : un médecin suédois, Magnus Huss, réunit sous ce terme, en 1849 « les manifestations pathologiques de l’intoxication alcoolique » après avoir découvert que des lésions viscérales (affections hépatiques, cardiaques ou neurologiques) et des troubles du comportement de la population hospitalière de Stockholm étaient liés à une surconsommation d’alcool.

Histoire de l’alcool : Début des politiques de lutte contre l’alcoolisme.

Jusqu’au milieu des années 1960, les différentes politiques de lutte contre l’alcoolisme ne parviennent pas à enrayer la croissance de la consommation. À partir de 1954, sous l’impulsion du gouvernement de Pierre Mendès France, l’action publique contre l’alcoolisme prend des formes multiples :

Réduction de l’offre, à partir de 1954, par la fermeture des débits de boissons, par la réglementation des points de vente (sur les lieux de travail notamment : obligation est faite aux employeurs de mettre à la disposition de leurs salariés de l’eau potable), par la disparition du privilège du bouilleur de cru en 1960.

Développement de la prévention, prévention routière et prévention scolaire.

Organisation de campagnes publicitaires anti-alcool.
Réglementation de la publicité avec l’interdiction d’associer l’alcool au sport et à la conduite automobile.
Création en 1954 du Haut Comité d’Études et d’Informations sur l’Alcoolisme (Figure n°3).

Figure n°3 : Affiche sur la prévention de l’alcool en 1954

Le succès culturel d’une nouvelle classe sociale, aux modes plus hygiéniques de consommation, prive progressivement de prestige les conduites d’excès du boire et manger que partageaient ensemble, mais chacun dans son monde social, les hommes de la bourgeoisie dominante et les hommes du peuple. Vers la fin du XXème siècle : les « cols blancs » du secteur tertiaire boivent de l’eau au bureau, prennent soin de leur corps et choisissent pour leurs invités des vins de qualité une seule fois dans la semaine. Les modes de consommation changent, mais ils privilégient l’alcoolisation massive hebdomadaire destinée à produire l’ivresse.

La prévention s’accélère avec de nouvelles réglementations dans les années 80

L’aggravation des peines pour conduite en état d’ivresse en 1985 est mise en place. Mise en place de campagnes publicitaires comme en 1984 « Un verre ça va, trois verres…bonjour les dégâts » (Figure n°4).

Figure n°4 : Campagne 1 verre ça va, 3 verres…

Un enseignement d’alcoologie, en 1971, pour les étudiants en médecine, les élèves des professions paramédicales, les juristes et les travailleurs sociaux a été crée mais ce n’est pourtant que très récemment que l’alcool a pris sa place parmi les substances psycho-actives considérées comme dangereuses du fait de leurs effets potentiellement sévères. Ainsi, depuis 1999, les compétences de la Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (MILDT) sont étendues à l’ensemble des substances psychoactives licites, au rang desquelles figure l’alcool.La prévention et la prise en charge de l’alcoolisme reste une préoccupation majeure de santé publique aujourd’hui et est une des priorités du gouvernement.

L’usage du vin est donc un marqueur culturel ancien de la civilisation latine puis européenne. Si l’alcool a perdu son sens sacré, il conserve sa valeur symbolique. Le geste de trinquer est un signe de reconnaissance, une invitation. Il rime avec joie et intégration sociale. Mais, par ses effets délétères sur les différents organes, l’alcoolisation chronique est responsable chaque année de 23 000 décès directs, et la prise d’alcool, de 2 700 blessés sur la route.


Références :

  • Jovelin E, Oreskovic. De l’alcoolisme à l’abstinence. Paris : ASH Professionnels, 2002.
  • Institut national de la santé et de la recherche médicale (France). Alcool : dommages sociaux, abus et dépendance. Paris : Inserm, 2003.

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