Dans le domaine des conduites d’abus et de dépendance aux substances psychoactives, les principales classifications utilisées sont les suivantes :
- Le Diagnostic and Statistical Manuel of mental disorder (DSM IV et DSM 5) et la Classification Internationale des Maladies ou CIM 10, classifications internationales, où la dépendance est une entité psychopathologique de même que l’abus.
- Les typologies comportementales : elles distinguent alcoolisations aiguë, chronique et alcoolisation intermittente (modèles de Knight en 1937, de Jellinek en 1960 et de Tarter en 1977).
- Les typologies psychocomportementales développées par Jenicek.
- Les typologies à partir de données épidémiologiques et cliniques : alcoolisme primaire et alcoolisme secondaire sont distingués.
- Les typologies multidimensionnelles développées par Fouquet en 1952, par Cloninger en 1987 puis par Babor et ses collaborateurs en 1992.
- Les typologies cliniques développées par Van Dijk en 1979 ou Little en 1990.
Classifications internationales
Les classifications publiées depuis de très nombreuses années ont l’inconvénient de décrire essentiellement les différentes formes de dépendance, mais aussi celui d’aborder très peu, ou pas du tout les modes de début de ces conduites et leurs modes d’évolution précoces avant l’apparition de dommages. Les classifications nosographiques de l’alcoolisme sont donc nombreuses et reposent sur des principes différents. Du strict point de vue de la conduite alcoolique, un modèle bidimensionnel s’est imposé au niveau international : il différencie l’abus ou usage nocif et la dépendance. La classification internationale du DSM IV reste la référence pour les études et la recherche mais reste difficile d’utilisation en pratique clinique.
Définitions par la Société Française d’Alcoologie
La Société Française d’Alcoologie (SFA), dans ses recommandations pour la pratique clinique publiées en 2001 et validées par l’Agence Nationale d’Accréditation des Établissements de Santé (ANAES), actuellement la Haute Autorité de Santé (HAS), redéfinit le vocabulaire lié à l’alcool en s’appuyant sur un modèle médical, sans doute réducteur mais pratique.
Le non-usage est défini par une absence de consommation de boissons alcoolisées. Le non-usage peut être primaire ou secondaire. Dans ce dernier cas, on parle d’abstinence.
L’usage est défini par toute conduite d’alcoolisation ne posant pas de problème pour autant que la consommation reste modérée, c’est-à-dire inférieure ou égale aux seuils de dangerosité définis par l’OMS – définis ci-dessous – et prise en dehors de toute situation à risque ou de risque individuel particulier.
Le mésusage la SFA définit trois groupes de « consommateurs à problèmes » ou trois conduites d’alcoolisation problématique :
L’usage à risque caractérise toute conduite d’alcoolisation, ponctuelle ou régulière, où la consommation est supérieure aux seuils définis par l’OMS, et non encore associée à un quelconque dommage médical, psychique ou social, et/ou à une dépendance, mais susceptible d’en induire à court, moyen et/ou long terme. L’usage à risque inclut également les consommations égales ou même inférieures aux seuils de l’OMS lorsqu’elles sont prises dans une situation à risque (conduite de véhicules, travail sur machines dangereuses ou à un poste de sécurité, … situations qui requièrent vigilance et attention) et/ou lorsqu’il existe un risque individuel particulier (consommation d’autres produits psycho-actifs susceptibles de potentialiser les effets de l’alcool, pathologies organiques et/ou psychiatriques associées, notamment celles qui exigent un traitement médicamenteux, modification de la tolérance du consommateur en raison de son sexe, de son âge, de son faible poids, de situations psychologiques ou physiologiques particulières – état de fatigue et surtout grossesse-).
L’usage nocif caractérise une consommation d’alcool induisant des dommages somatiques, psycho-affectifs ou sociaux, en l’absence de dépendance. Cette catégorie correspond à la définition de l’utilisation nocive à la santé de la CIM 10 ou abus de la classification DSM IV.
L’usage avec dépendance de l’alcool (ou alcoolodépendance) caractérise la perte de liberté de s’abstenir de consommer, et le fait de poursuivre la consommation, tout en étant conscient des conséquences négatives. On distingue schématiquement la dépendance physique qui se traduit cliniquement par l’installation d’une tolérance et des signes de sevrage à l’arrêt de la consommation d’alcool, et la dépendance psychique qui se traduit par une pulsion à consommer des boissons alcoolisées pour en retrouver les effets. Le diagnostic de dépendance n’est pas toujours facile à porter. C’est pourquoi, on se réfère aux critères du DSM IV.
Repères de consommation définis par l’OMS
L’OMS a émis des recommandations reconnues au niveau international pour une consommation à moindre risque. Elles s’appuient sur l’ « unité alcool » qui équivaut à un verre standard, dont le contenu en alcool pur est égal à dix grammes.
La consommation régulière ne doit pas dépasser deux unités d’alcool par jour pour les femmes soit maximum quatorze verres par semaine et trois unités d’alcool par jour pour les hommes soit maximum vingt-et-un verres par semaine. L’OMS recommande au moins un jour par semaine sans boisson alcoolique. La consommation occasionnelle ne doit pas dépasser quatre unités d’alcool en une seule occasion.
Par ailleurs, l’OMS recommande de ne boire aucun alcool dans les circonstances suivantes : pendant la grossesse, dans l’enfance, en conduisant un véhicule, en conduisant une machine dangereuse, en exerçant des responsabilités qui nécessitent de la vigilance, en prenant certains médicaments, dans certaines maladies aiguës ou chroniques (épilepsie, pancréatite, hépatites virales,…), en étant un ancien alcoolodépendant).
Classification DSM IV
Actuellement les impératifs de santé publique plaident en faveur d’outils internationaux validés qui facilitent la comparaison des populations traitées et l’évaluation des interventions. L’un des outils les plus utilisés en milieu clinique est le Diagnostic and Statistical Manual of mental disorders – VIth edition (DSM-IV), valide et reproductible, recommandé au niveau international, qui permet la distinction entre abus et dépendance (Figure n°1).
Dépendance à une substance selon le DSM IV
Mode d’utilisation inadapté d’une substance conduisant à une altération du fonctionnement ou à une souffrance, cliniquement significative, caractérisé par la présence de trois (ou plus) des manifestations suivantes, à un moment quelconque d’une période continue de douze mois :
-> Tolérance, définie par l’un des symptômes suivants : besoin de quantités notamment plus fortes de la substance pour obtenir une intoxication ou l’effet désiré, effet notablement diminué en cas d’utilisation continue d’une même quantité de la substance.
-> Sevrage caractérisé par l’une ou l’autre des manifestations suivantes : syndrome de sevrage caractéristique, la même substance (ou une substance très proche) est prise pour soulager ou éviter les symptômes de sevrage.
-> La substance est souvent prise en quantité plus importante ou pendant une période plus prolongée que prévue.
-> Il y a un désir persistant, ou des efforts infructueux, pour diminuer ou contrôler l’utilisation de la substance.
-> Beaucoup de temps est passé à des activités nécessaires pour obtenir la substance, à utiliser le produit, ou à récupérer de ses effets.
-> Les activités sociales, professionnelles ou de loisirs importantes sont abandonnées ou réduites à cause de l’utilisation de la substance.
-> L’utilisation de la substance est poursuivie bien que la personne sache avoir un problème psychologique ou physique, persistant ou récurrent, susceptible d’avoir été causé ou exacerbé par la substance.
Classification DSM-5
La nouvelle classification américaine « Diagnostic and Statistical Manual of mental disorders – 5th edition (DSM-5) a été publié en 2013. Par rapport à la classification DSM-IV, la distinction entre abus et dépendance n’existe plus. Les termes d’abus et d’alcoolodépendance ont disparu, au profit du diagnostic unique d’“alcohol use disorder” ou trouble d’usage d’alcool (TUAL).
Ce diagnostic est désormais évalué par 11 aspects cliniques qui sont considérés indépendamment les uns des autres permettant de donner une approche descriptive plus précise et plus personnalisée.
Une mesure de la sévérité du TUAL peut s’obtenir par la simple addition du nombre de dimensions présentes : “léger” (2 ou 3 dimensions), “modéré” (4 ou 5 dimensions), ou “sévère” (plus de 5 dimensions).
Autres classifications
Nous détaillerons juste les typologies comportementales et multidimensionnelles qui restent utilisées dans les études sur les alcoolodépendants, surtout dans la littérature de psychiatrie.
Les typologies comportementales
Jellinek, en 1960, identifie cinq types de conduites :
- L’alcoolisme « alpha » : dépendance psychologique uniquement, l’alcool servant à soulager un malaise physique ou émotif.
- L’alcoolisme « bêta » : conduite alcoolique compliquée de symptômes somatiques (cirrhose, etc…) sans syndrome de dépendance.
- L’alcoolisme « gamma » : perte de contrôle des quantités d’alcool consommées, consommation intermittente.
- L’alcoolisme « delta » : impossibilité de s’abstenir de boire, consommation quotidienne.
- L’alcoolisme « epsilon » : alcoolisme périodique de type dipsomaniaque.
Les formes alpha, bêta et epsilon répondent aux critères de « l’abus d’alcool » du DSM IV, les formes gamma et delta, aux critères de « dépendance ».
Le modèle de Knight (1937) distingue l’alcoolisme essentiel et l’alcoolisme réactif. Le modèle de Tarter distingue l’alcoolisme primaire et l’alcoolisme secondaire.
Les typologies multidimensionnelles
Fouquet, en 1952, propose de différencier trois grandes formes d’alcoolisme :
- Les alcoolites : alcoolismes d’entraînement, essentiellement masculins, avec consommation quotidienne d’alcool, sans culpabilité ressentie (45 à 50 % des alcoolismes masculins).
- Les alcooloses ou alcoolismes névrotiques : formes de début plus précoce impliquant une consommation discontinue, des conduites solitaires, culpabilisées, essentiellement déterminées par des facteurs psychonévrotiques sous jacents (45 à 50 % des alcoolismes masculins, 80 à 85 % des alcoolismes féminins).
- Les somalcooloses, alcoolismes intermittents et compulsifs de type dipsomaniaque.
Le modèle de Cloninger distingue le type I ou alcoolisme de « milieu » et le type II ou « exclusivement masculin ».
La classification de Babor, proche de celle de Cloninger, repose sur une validation statistique plus rigoureuse. Elle distingue :
- Le type A : début tardif (après vingt ans), évolution lente, moindre fréquence de psychopathologies associées, complications moins fréquentes, peu de facteurs de risques dans l’enfance, meilleur pronostic.
- Le type B : début précoce, dépendance sévère, fréquence des toxicomanies associées, alcoolisme familial fréquent, pathologies psychiatriques associées, agressivité et impulsivité dans l’enfance.
La recherche sur les types d’alcoolismes a montré que l’âge précoce du début de l’alcoolisme et le degré de symptômes pathologiques psychopathiques sont corrélés avec une hérédité alcoolique. Par contre, chez les buveurs d’habitude, la maladie débute plus tardivement, sans symptomatologie psychiatrique sous-jacente. Ces deux types d’alcoolismes correspondent plus ou moins aux classifications de Jellinek (les formes gamma et delta), Fouquet (alcooloses et alcoolites), Cloninger (type II et type I ) et Babor (type B et type A).
Références
- Hasin D. Classification of alcohol use disorders. Alcohol Res Health 2003;27(1):5-17.
- Adès J, Lejoyeux M. Alcoolisme et psychiatrie – Données actuelles et perspectives. Paris : Masson, 2003
- Adès J, Lejoyeux M. Conduites alcooliques : aspects cliniques. In : Encycl Méd Chir, Psychiatrie, 37-398, A-40 1996.
- Société française d’alcoologie. Choix et définition des termes essentiels de la pratique alcoologique. In : RPC-Les conduites d’alcoolisation. Alcoologie et Addictologie 2001;23(4S):1S-76S.
- Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. 5th edition. Washington DC : American Psychiatric Association, 2013.